PAR LA ROUTE en lacets blancs, voici les champs d'amandiers dans un mouchoir de terre rouge, et puis c'est un haut plateau de romarins et de genêts d'espagne.
le canyon élève ses hanches étroites jusqu'à cet éboulis dans un champ de cailloux
Et par un passage entre deux rocs, comme l'entrée d'une hypogée,
oici l'accès à la mince plate-forme avec la voûte en baldaquin délavée par les pluies de janvier
Couverte encore de tenaces peintures ocre et noir mimant des aurochs et des chasseurs filiformes armés de lances.
Ici des hommes lourds et craintifs s'abritaient, la nuit, des fauves errants et fixaient sur la pierre les rites de la chasse et les envoûtements.
Mais ce n'est pas le poids du passé qui fait courber nos épaules.
Juchés sur n rebord de rocher nous éprouvns l'apparente fragilité de ces deux murs en strates étagées
Qui se rejoignent dans un grand flot de blocs et de pierres blanches teintes de rose et de violet sous les rayons obliques du soleil couchant.
Serait-il vrai que nous ayions ici la vision - comme les hommes de l'aube de l'histoire-
De la précarité de tout ce qui se meut sous le ciel, dans l'amoncellement de ces pierres muettes.
Serait-ce l'image de notre vie que cette stagnation pétrifiée animée seulement ("il pleut quatre à cinq jours par année, alors c'est un déferlement d'eau couleur de sang")
De réveils de passions bientôt asséchés par la terre impassible.
Ou bien le rappel et l'annonce de notre mort prochaine dans ces vertèbres et ces crânes polis à quelque mille pieds par le fonds du gouffre.
Mais voici, accrochées à la paroi aride, les touffes de buissons épineux où s'épanouissent quelques fleurs.
Jusqu'en ce lieu minéral le rythme des saisons s'insinue et suit les cycles immuables jusqu'à la consommation des siècles.
Comme les peintures effritées transcrivaient l'obscur message des hommes des temps lointains
Les humbles plantes à fleur de rocher rediront à jamais :
"La vie triomphe de la mort".
© Pierre Etienne / le rempart des îles / les presses de Taizé 1965
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