LE PLATEAU est pourtant la mer n'est pas loin, mais nous voici dans l'autre monde.
Ici la terre aride et sa moisson de cilloux, les grands blocs de pierre arrondis par l'écoulement des eaux, creusés de canaux telles d'antiques pierre à sacrifice.
Tout un peuple d'herbes et d'arbustes a surgi dans un délire végétal contenu.
Rien qui atteigne la taille de l'homme, les palmiers-nains ne dépassent pas la cheville du promeneur et les chênes-verts épineux collent leur ventre à la terre,
Et cependant une folle exubérance préside au déploiement d'épais feuillages veloutés ou de branches acérées tels des squelettes de poissons.
Aussi loin qu'il porte, le regard plonge et s'étale dans une bienheureuse infinité.
Vers l'intérieur c'est la lente progression en plan incliné jusqu'à ces montagnes dont les crêtes, sous le soleil, se fondent avec le ciel,
Et du côté de la mer ce n'est pas une rupture que ce monce rebord au pied duquel se bousculent les jeunes vagues frisées de blanc
Mais la même étendue, la-bas animés comme une danse d'eau et de lumière, ici de roches et de plantes au parfum de miel et d'aromates ;
La même contonuité de lumière vive qui fait clignoter les yeux et s'enivrer l'esprit.
Longtemps nous t'avions rêvée, solitude, et tu étais à portée de nos mains dans ton intimité dévoilée.
Souvent nous avions pensé à l'étendue désolée telle la blancheur vide des couloirs d'hôpital - passée l'heure de la visite - ou l'abstraction d'une épure de géomètre,
mais nous te trouvions dans un bourdonnement d'abeilles vibrant les ailes étendues autour d'une touffe de romarin ;
Et d'un creux entre deux pierres émergeait, avant l'envol, le cri bref d'un oiseau apeuré.
Jamais nous n'avions imaginé qu'une multiplicité de petits univers nous serait offerte - dont le moindre n'était pas, entre des roches veinées d'ocre et de vert, telle mousse élevant au soleil de minuscules semences en grappe mauve.
Il semble à l'homme avançant lentement dans les amorces de sentiers frayées par les troupeaux
Que rien de son être n'échappera à la grande purification de la lumière blanche et du vent frais chargé de sel
cependant bien que le corps autant que l'esprit participent d'un détachement allègre des soucis de la vie
Voici qu'apparaît - comme une ombre et une furtive réminiscence - une étrange complaisance à soi-même.
Ce désert minéral habité d'insectes et de plantes complices de la sécheresse,
Suprepticement, le voilà-t-il pas, telle une scène immense, meublé d'images et de bibelots du monde ancien,
Démons domestiques sachant se faire si petits dans un sac de voyage.
Homme en dehors du camp, serait-ce ta perte et non pas ton salut que cet exil provisoire parmi me Negeb amical
Fleuri seulement par ces hautes rosacées que le promeneur désigne de ce nom. "Rose des calanques".
Du rebord d'une table de pierre, de cette jonchée de galets en plein ciel, voici qu'apparaît, si l'on poursuit l'avancée de la marche,
Un petit val défiché, ceinturé sur ses pentes de gradins peuplés d'amandiers à fleurs blanches.
Entre deux rangs d'oliviers un homme têtu va et vient sans cesse ; il se hâte de piocher la terre rouge des origines
Son ombre s'allonge sur le sol et son petit jardin en forme d'amande est une barque parée naviguant au creux du déferlement chaotique de la meseta.
Qui soupçonne l'existence de cet humble conquistador luttant contre les pierres stériles pour que le désert porte fruits et récoltes,
Sinon toute l'étendue des garrigues, comme attentive, - dans son silence - au labeur acharné d'un homme seul et qui se hâte avant la nuit.
Et voici que sur la grande dalle lisse et huilée de la mer la flotille de pêche est passée, s'en retournant au port
Ebranlant les assises des rochers au trépidement sourf des moteurs à mazout.
Le troupeau de moutons du village descend une pente, surmonté d'une nuée de poussière lumineuse qui s'attarde et ferme la marche.
Celui qui a reçu mission de cultiver le sol aride se redresse enfin et disparaît, appuyé au flanc du petit âne gris.
Pourquoi l'air tout à coup se fait-il plus agile - en dépit des ténèbres violettes qui éteignent les plantes une à une.
Au loin la rumeur de la bourgade autour de son église ; et l'on imagine les salutations bruyantes dans les ruelles au pavé inégal.
Tout maintenant - les derniers insectes ont cessé de bruire - nous dit : c'était une halte,
Il faut revenir dans la cité des hommes. Seul le vent règnera sur les terres hautes, exorcisées par la ville gorgée de paroles et de rires,
Tel un grand feu de nomades assujetti l'ombre alentour.
Demain le soleil émergera des eaux calmes et lavera de ses rayons purs les hautes tables de pierre et les abustes odorants
Sur les garrigues proches de la mer.
© Pierre Etienne / le rempart des îles / les presses de Taizé 1965
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