PLUS DUR que le soleil (il frappe des deux poings), plus amer que le suintement de sueur au creux d'un cauchemar, le ciel de la savane à l'heure où les vents amoncellent les nuages venus de la côte.
La poussière ce n'est rien, nous sommes coutumiers sur ces terres immenses des souffles secs soulevant le sable du sol pour en faire une piste grise en plein ciel.
Mais aujourd'hui tous ces grains de silice et de latérite voltigeant comme des grains stériles s'engluent d'une humidité de langue.
Se mêle aussi à cet air moite l'écœurante odeur de forêt vierge, et l'on respire l'acidité des fourmis géantes, la pourriture des palétuviers et des marigots grillagés de lianes.
Ainsi, à l'heure où les génies du ciel et de l'eau, tels des bergers Peuls, poussent en hurlant les nuages, les hommes et les bêtes comprennent qu'il n'est point de refuge contre la conspiration du chaud et de l'humide.
Déjà ne suffisait-il pas que cet air trop brûlant fouette notre sang pour l'incendier. Fallait-il nousfaire croupir, mauvais limon, avant les eaux de la tornade.
Fallait-il vraiment cette épreuve, pourquoi ne pas nous détruuire d'un coup dans un nouveau déluge sans nous tourmenter par ce fléau plus cruel que ceux qui cinglaient le dos des Egyptiens.
Les vieux sages eux-mêmes, dans les bourgades, laissent glisser, vides de Dieu, les grains de leur chapelet. Si toutes choses en nous-mêmes et hors de nous-mêmes s'imbibent d'argile humide, dans quel cellier secret de l'âme garder le rire bref de l'esprit.
À l'instant de cette fermentation qui brasse les cieux et la terre, n'ya-t-il de loi que l'inextricable mélange, ne sommes-nous que de la boue secouée un instant avant de se joindre à la vase sans nom.
Autrefois, en ce temps-là, aux jours de l'origine, l'esprit planait sur les eaux. Un verbe puissant divisait l'élément de l'élément, le sec de l'humide. L'homme fut investi de sa fonction de prince et de poète.
Aujourd'hui dans la folie de l'orage proche, laisserons-nous le sang et la chair hurler le chant aveugle de la bourrasque. L'esprit doit-il sombrer.
Disent-ils vrai les tam-tams frénétiques, convient-il de laisser le corps s'anéantir dans la vibration insensée, alors que le ciel n'est plus le ciel de Dieu mais un envoûtement chaudron de sorcières.
Oui, je le sais désormais : Iblis(*) le satan se mêle aux souffles avant coureurs de la tornade pour inciter les fils de Dieu à la révolte, au blasphème.
(*) Iblis, nom donné au diable par les musulmans.
© Pierre Etienne / lente remontée depuis les rivages / les presses de Taizé 1969 ... p. 39 à 42
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