Nous déserterons ce corps, nous le laisserons en arrière.
Un soupçon vient de s'éveiller :
Sera-t-il accordé le temps de tout mettre en ordre ?
Elle a pris fin l'époque des patriarches
- Leurs derniers instants, la famille assemblée
Et le rite de bénédiction à chacun -
Ou même le temps de ces grands bourgeois, patriciens
Encor vigoureux mais prévoyants : vers le milieu de leurs jours
Dictant leurs volontés à l'homme de loi discret comme un tombeau.
Nous serons cueillis avant que l'oeuvre soit nouée
Ayant rêvé d'une terre plus fraternelle.
Un peu de temps, un peu d'agitation
Et nous serons couchés ici ou là, enrichissant le sol,
Prenant place au-dessus de tous ceux qui sont venus
Ici par hordes successives et qui ont jailli à la lumière
dans un premier cri d'agonie.
Bien que mutilés par des puissances obscures
Nous avons vécu des instants de bonheur.
Grâces soient rendues à ceux qui furent sur notre route
Des anges. Ils ont mis dans notre regard
Dans la ferveur de notre sang
La nostalgie de l'éternité.
Ainsi voguant vers le dernier cataclysme, le nôtre,
Celui par lequel à nos yeux le monde va disparaître
Balançons-nous sans cesse :
La grande espérance portée au long de deux millénaires
Par notre mère exigeante l'Église ? ou le soupçon
Du retour à l'origine, indifférencié et muet, de toute la matière vivante ?
Qui décidera ? Sinon la voix en nous et le souvenir
Des anges rencontrés dans un bruissement de gestes et de paroles
Sans cesse à notre cœur et à notre souffle nouant
Le refus de voir disparaître à jamais la communion tissée
Au-delà des actes et des vocables.
© Pierre Etienne / les sentiers du monde / les presses de Taizé 1972 ... p.79 à 81
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