en arrière plan une Huile sur toile (46 x 55 cm) de Jacques TRUPHEMUS (1922-2017). "Les lauriers de Cauvolat, circa 2015".

samedi 6 juillet 2024

TABLEAUX POUR UNE INONDATION

 
I
 
            Les présages, les rares certitudes. Le rêve toujours le même : bagages perdus, oubliés ici ou là. Laisse aller, laisse flotter au fil de l'eau toute cette pacotille. Toi-même, suffisamment dégraissé par je ne sais quel protozoaire amical, tu pourras attendre l'équivalent d'une crue plus haute pour t'en aller avec les branchages arrachés et les vieux flacons.
            On dit ça lorsque le soleil donne au fleuve des accords de zinc. Quelque chose, toutefois, décèle que l'on n'est pas encore prêt. La nuit ne s'est pas mise en route. 


II

            En route l'enroulement de l'eaun son torse à demi retenu. La rivière franchit une vanne avec une vigueur qui réjouit. Comme si elle jouait dans la courbe et l'élan de la chute, dans le fracas des eaux, à égaler un Niagara dde province. Si, toutes puissances émoutillées, l'on pouvait jouer ainsi !
            Pour loin l'immersion des prés, les troupeaux rapaciés d'urgence, les potagers menacés par l'eau vive.
 
 
III
 
            L'eau vive ne sommeille jamais. La nuit, le riverain éveillé par le souci écoute le grondement. Mille ruisseaux se hâtent vers la fête qui se prépare. Avec circonspection le manège hydromécanique se met en mouvement.
            Les intéressés ne voient qu'une part du spectacle. La vie est un cirque, qui ne l'a dit jamais ?
 
 
IV
 
            Jamais les arbres de la rive ne furent plus beaux qu'à présent, seul le bouquet des branches émergeant. Un ciel de Nicolas poussin au-dessus.
            La pleine inondée elle-même un autre ciel, domaine agrandi des cygnes sauvages et des pêcheurs à la ligne installés sur les levées de terre. les uns et les autres savent abstraire, arrachés aux berges, les détritus qui viennent s'échuer le long des palissades, s'accrocher aux piquets.
            L'ampleur d'une vallée permet d'effacer au regard le reflux d'immondices d'un monde en désarroi. Subsistent les lignes, le cadre général et tous ces reflets signalant  un rapiècement des plans d'eau au lit du fleuve élargi.
            On imaginerait, par un climat plus doux, en toute urbanité, un afflux de baigneurs nageant avec délices dans le lac provisoire.


V

            Provisoire étalement, oscillation entre gris et sépia. Apparence d'immobilité, seul un léger bouilonnement annonce une avancée.
            La nuit improvise une autre histoire : la terre et l'eau encensées par la lune et par l'ombre.



© Pierre Etienne / ciels sans nombre / les presses de Taizé 1981 ... p.21 à 23
 
 
 
 
 

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