en arrière plan une Huile sur toile (46 x 55 cm) de Jacques TRUPHEMUS (1922-2017). "Les lauriers de Cauvolat, circa 2015".

samedi 25 novembre 2023

garrigues [3]

 
EN CE JOUR d'hiver, alors que le vent d'Ouest rameute ses nuages,
Il convient encore d'être là, non loin de celui qui continue sa tâche,
"Car on a toujours quelque chose à faire et à remettre en ordre dans son champ".
Un instant le ciel s'entr'ouvre ; et comme au grand jour de la Fête, à la ville voisine, au retour de la procession,
On  pousse sur des chariots d'immenses candélabres, buissons ardents parés de mille petites lampes, entre les hautes façades sombres,
La mer se met à luire, selon les caprices du ciel, en telle ou telle part, en allumant de grands panaches de brillance,
Et la lumière paresse quelques instants avant de plonger dans les profondeurs.
L'œuvre est-elle donc vaine pour que cette vision s'inscrive à l'heure où les forces déclinent ?
Mais il n'empêche que jusqu'au dernier souffle et jusqu'au dernier battement de ce cœur si usé et si jeune
Elle ne défaillera point cette conviction, intense comme un feu et ferme comme un roc,
Qu'il n'est pas sans savoir son sens et sa valeur, son espace et son poids , le travail mis bout à bout de journée à journée.
Car il y a une avancée ; et même si, pour l'homme voûté, ce devrait être le dernier hiver et les dernières pluies
Un autre, un fils ou un voisin, ne se lèverait-il pas pour la défense des sillons rouges et les soins amoureux aux jeunes amandiers ?



Les montagnes ont pris cette couleur de bure, ainsi que la portent les fils de saint François
Que l'on entend quelquefois, prêcher le carême à l'église du village. Et ce n'est pas la teinte du souci que ces ondulations brunes, face à la mer,
Mais la chair du terreau sous la pluie et par un jour sombre.

Même si la clarté du grand luminaire se fait plus rare et que sa course se restreint de l'une à l'autre limite,
Une autre lumière s'y joint et réjouit le cœur en-dedans.
Car c'est un autre temps qui accompagne le travail de l'homme et s'y mélange comme ces nappes de lumière à l'eau grise.

Il se pourrait même que par le geste du travailleur solitaire sur la garrigue muette
Une bonté qui n'est pas de ce monde soit alors infusée à tout ce pays d'épines et de pierres, entre la montagne et l'immensité du large.
Et c'est comme si la garrigue sans âge et sans mémoire redécouvrait
Une histoire plus vaste qu'elle-même et cependant, à ce sol, appropriée.



Tandis que déferlent les lourds nuages la terre s'accoutume au long sommeil maussade des mois au soleil bref ;
Comme l'entrée dans une nuit obscure. Et ce n'est plus le ciel étoilé tout palpitant de vols d'insectes et d'ébouriffement d'oiseaux,
Mais le dépouillement ainsi que la pierre nue lavée par la pluie froide
Et doucement capturée par les ténèbres sans contour.

C'est ici et à cette heure, où le brouillard suinte des cirques de pierre
Qu'il faut mesurer aux balances du temps tout ce pays généreux et résistant, ouvert à tous les vents et serré dans sa masse,
Attablé à la mer pour en recueillir tous les souffles et opposant
La fermeté courtoise de ses blocs et de ses falaises à l'assaut des vagues fringantes et poudrées d'écume.
Alors il ne faut point omettre l'homme, plus solitaire encore dans la désolation froide.
Car ce n'est pas rien que d'œuvrer par les jours où l'air véhicule l'inexorable écrasement du désert calciné
Et que toutes les hautes terre bourdonnent comme d'un feu à son paroxysme ;
Mais en cet instant où la terre se tait sous le froid et l'humide
La petite silhouette laborieuse acquiert la valeur suréminente
D'un dévouement obscur à un sol maigre
Et plus haute que le ciel où s'échafaudent et se défont des piles de nuages migrateurs.



Solitude du haut plateau désert tu n'es peuplée que par les gestes silencieux d'un homme seul ; 
Tandis que tout un monde inconnu à nos sens s'est réfugié au cœur de la terre
Où circule la vie dans de secrets canaux et où d'informes chrysalides préfigurent des tissus duveteux et moirés de papillons d'un jour.
A l'approche de la mort, si l'homme de la terre n'a pas désarmé son attente
C'est bien dans la vision de la garrigue investie d'abeilles ouvrières sur les fleurs de romarin, 
Alors que les amandiers annonceront par leurs minces feuilles nouvelles la gloire du printemps.
C'est l'assurance que la terre rendra son fruit en son temps

Et qu'un jour, dans toute son étendue, refleurira le pays désert.
 



© Pierre Etienne / le rempart des îles / les presses de Taizé 1965
 
 
 
 
 

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