II
Y AURAIT-IL une lente remontée depuis les rivages. Nous faudrait-il accompagner je ne sais quelle reconquête intérieure (je devine de quoi il s'agit, ne pas se presser de faire mûrir les secrets) d'une migration affective quant aux paysages aimés.
Avec passion je me suis approché de la mer, avec une sorte de paganisme inconscient qui m'a permis de jouir sans remords de la grande symphonie primaire de l'eau, du sable et du soleil.
Cette joie d'être à une limite, il m'est arrivé de la chanter et de célébrer la frange d'écume qui vient s'anéantir sur la plage et laisse, en se retirant, de petites bulles, des paillettes de sel et quelques coquilles.
Mais la félicité pour se maintenir à son niveau de jouissance exigeait un recul. Il me fallut grimper au sommet des falises. ainsi la mer révélait-elle des richesses plus grandes, les taches diversement colorées à la surface laissaient deviner l'étiage des profondeurs !
La ligne de la côte dessinait des criques, des piscines, et des effondrements en forme de demi-lune où le sable fin brillait tout blanc. Mais le regard se portait souvent vers l'intérieur, vers les flots pétrifiés où l'ange de la sécheresse avait établi son campement pour narguer, semblait-il, l'immense chaudière marine.
Cependant ce n'était pas l'équivalent terrestre du moutonnement des vagues que je cherchais, si j'ai cru cela je me trompais. La découverte, des années plus tard, ce fut la Saône un jour de printemps sous un soleil précoce où l'on se prend à croire que la beauté est possible sur la terre.
Les tours de l'ancienne abbatiale trouvaient enfin leur équilibre dans un ciel bleu pour lequel elles étaient destnées. La bourgade tout autour, avec son réseau de ruelles enchevêtrées, si maussade sous le froid et la pluie de l'hiver, changeait de densité dans la lumière nouvelle.
Bien que les maisons sur la berge forment un rempart presque continu le fleuve, invisible au cœur de la cité, n'en est pas moins tout proche. Il suffit de suivre une ruelle en pente et l'on arrive, par une brèche, sur le quai planté de platanes. En contre-bas c'est l'étendue de l'eau, à peine reconnaît-on le sens du courant, mais l'on perçoit le grand souffle d'air frais qui couve sans cesse la masse liquide.
Ainsi cette ville recélait-elle un secret et je ne le savais pas. Quand je dis un secret c'est manière de parler : un homme qui enclôt un secret c'est qu'il veut se taire, cacher aux autres ce qu'il ne désire point que cela soit communiqué. Ici c'était le voile que je portais sur les yeux qui commençait à se déchirer. La bourgade quasi anonyme au bord de la Saône devenait le point de repère d'une remontée à contre-courant.
© Pierre Etienne / lente remontée depuis les rivages / les presses de Taizé 1969 ... p 16 à 19
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