en arrière plan une Huile sur toile (46 x 55 cm) de Jacques TRUPHEMUS (1922-2017). "Les lauriers de Cauvolat, circa 2015".

mardi 16 janvier 2024

Les prophètes et les anges

 
    NOUS n'avons point connu hélas, l'époque des prophètes tonitruants. Ils allaient par monts et par vaux, par les ruelles et les chemins : sur leurs pas des hommes et des femmes au visage ruisselant de larmes déchiraient la soie neuve de leurs habits de fête. Ou bien un grondement d'orage accueillait leurs discours, ils s'enfuyaient sous une grêle de pierres.
    Ceux-là étaient grands et forts. À​ l'aide de quelques syllabes ils verrouillaient le ciel, le roi et ses ministres devaient se mettre en route pour découvrir les dernières sources. On les enfermait dans des cachots, c'était bien sûr inconfortable mais des émissaires du palais prenaient la peine de venir les sommer de rétracter leurs propos amers.
    Les mots de telles gens pesaient fort lourd dans les balances de la société. Cela se soldait en définitive par le jeûne public ou par la mise à mort, signe (quelqu'il fût) d'une mission bien accomplie : "Seigneur j'ai averti cve peuple, à ses oreilles a résonné le son de la trompette." Alors, (peut-être ceux qui nous l'ont raconté enjolivèrent-ils le récit) tout un peuple préservé recevait par tous les canaux de son être et jusque dans les conduits les plus internes les ferments et les sucs de la parole efficace.
    Aussi : (ne pas oublier) les anges apparaissaient au détour de la route. De l'actuelle désertion des envoyés nous demeurons inconsolables, anges porteurs de couronnes de pain, anges musiciens au cœur de ma nuit, anges cascadeurs le long d'une échelle. 
    Sans le savoir avons-nous rencontré des anges, nous ont-ils accueillis au seuil de telle chambre. Rêvions-nous, c'était comme au jour de l'enfance, notre visage était reçu au creux d'un linge frais, mais dans ses plis ne fut laissée nulle empreinte. Avons-nous mécompris un message muet, l'offrande de mains généreuses. Quelle image chercherait-on que nous ne pouvions offrir.

    Se lèveront-ils encore aujourd'hui les prophètes. Entendons-nous au moins le crissement du sable sous leur sandale, capterons-nous leurs signes, tels des gestes convenus. Mais le fracas de nos paroles futiles vient bourdonner autour des sanctuaires. le chant des anges et la voix des prophètes qui pourrait les percevoir.
    Peut-être, auprès de la piscine, cachés derrière une colonne, pourrons-nous épier la venue de l'envoyé, attendre ensemble que les eaux s'émeuvent.

 
 
 
 
 
© Pierre Etienne / lente remontée depuis les rivages / les presses de Taizé 1969 ... p. 48 à 51
 
 
 
 
 

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